mardi 29 mars 2011

Immigrer aux USA

     Faisant écho aux débats français sur l'immigration, Hélène Crié-Wiesner partage son expérience de naturalisation américaine.


     Ça y est, j'ai deux pays ! Au moment où Sarkozy menaçait certains Français de leur retirer leur nationalité, les Etats-Unis me reconnaissaient citoyenne à part entière. Moi, Française expatriée depuis dix ans, je suis désormais une Américaine d'origine étrangère. Vu ce qui se passe en France, ça me fait drôle.
     Comme je parle anglais avec un lourd accent français -aucune chance de le perdre quand on a immigré à mon âge canonique-, ma nouvelle identité n'est pas évidente à revendiquer. Quand on me demande : « D'où êtes-vous ? », et que je réponds : « De Caroline du Nord », je sens bien que mon interlocuteur pense que je me fiche de lui.
     Si celui-ci est malin, il va employer la flatterie pour obtenir son information : « Votre accent est si mignon ! » Le pire, c'est qu'ils sont sincères : les Américains adorent l'accent français, alors qu'entre Français, on meurt de rire en s'entendant parler anglais.
     Cette curiosité satisfaite, on cesse de s'intéresser à mon cas, extrêmement banal dans ce pays où on peut acquérir la nationalité de trois à six ans après avoir obtenu la « carte verte » de résident. Laquelle est bien plus difficile à obtenir que la nationalité.

Quand il ne faisait pas bon être français aux USA
     Il fut un temps où être français était limite dangereux aux Etats-Unis : juste après le discours de Villepin à l'ONU en 2003, quand la France avait refusé de s'engager auprès de l'armée de Bush en Irak.
Je ne voulais alors pas que mon petit garçon porte son pull à l'effigie des Bleus vainqueurs du Mondial 1998, craignant des insultes à l'école. Une copine francophone trouillarde exigeait qu'on parle anglais dans la rue par peur « d'offenser » les passants. Et la famille du consul général de France de Houston avait reçu des menaces de mort.
Sans compter qu'un honnête citoyen m'avait dénoncée au FBI pour avoir pris en photo une raffinerie de pétrole. Je ne vous raconte pas l'hystérie de l'enquête et la peur diffuse ressentie durant des années, surtout lors de mes fréquents passages de frontière.
Il ne reste rien de cette hostilité, à part une vague ironie de certains envers « notre » amour du « socialisme ». Lors de mon examen final dans le processus de naturalisation, avant de m'interroger sur mes connaissances linguistiques, historiques et constitutionnelles, mon examinateur m'a cependant félicitée pour « notre » système d'assurance médicale. Socialiste, peut-être, mais enviable.
Le jour de cet examen, qui signait la fin d'un processus bureaucratique assez simple de quatre mois, je partageais la salle d'attente avec des Latinos, beaucoup d'Asiatiques (Inde, Pakistan, Vietnam, Corée…), un couple de Norvégiens, et une famille africaine. Tous sont ressortis avec un grand sourire et une convocation pour la cérémonie de naturalisation.

Le processus de naturalisation revient cher
Je précise que les panneaux du bâtiment de l'immigration, ainsi que toutes les annonces orales, étaient rédigés en anglais et en espagnol. Je me demandais si les préfectures et les administrations françaises adopteront un jour l'arabe pour rendre service à ses usagers mal à l'aise en français.
Comme j'avais réussi l'examen, je me suis permis de demander à mon « officier » dans quelles circonstances je pouvais perdre cette nationalité chèrement acquise (675 dollars pour envoyer le dossier, sans garantie de résultat, plus 350 dollars d'avocat, non obligatoire, pour vérifier l'ensemble).
Sa réponse : même si je rentrais dans un gang, si je tuais un policier, si je crachais sur la bannière étoilée, ou prenais un second mari, je resterais Américaine. Des cas sont prévus pour retirer cette nationalité, mais ils n'ont rien à voir avec le comportement social, et s'appliquent aussi bien aux natifs qu'aux nouveaux citoyens dans mon genre.
Pourtant, le jour où je suis allée prêter mon « serment d'allégeance », j'ai tiqué sur plusieurs phrases, dont celle-ci :
« Je déclare, sous serment, que je renonce entièrement et absolument, et que j'abjure toute allégeance et fidélité à quelque prince étranger, potentat, Etat ou souveraineté, dont j'aurais auparavant été sujet ou citoyen»
 Gloups ! Je veux bien être américaine, mais je veux rester française. D'un autre côté, autant que je sache, je n'ai jamais juré allégeance à la France, j'y suis née, c'est tout. Si j'abjure, c'est du vent. Abjurons donc.

Impossible de perdre sa nationalité française
De toute façon, la France ne permet pas qu'on renonce de son propre chef à sa nationalité, n'est-ce pas ? Si on me prend mon passeport, le consulat m'en fera un autre sur le champ. Le gouvernement américain le sait, c'est pour cela qu'il ne réclame plus les passeports des Français naturalisés.
J'ai donc prononcé la phrase à haute voix en même temps que les autres, debout et la main sur le cœur, face au drapeau. J'ai juste gardé les dents serrées au moment de ce passage, car j'ai des limites personnelles infranchissables :
« One nation, under God [Une nation sous Dieu]… »
 Pourquoi la désirais-je, cette citoyenneté américaine ? Parce que je paye mes impôts ici, et que je voulais pouvoir voter. Je me suis assez reprochée d'avoir fait la fine bouche sous le règne de Bush, ce qui m'a privée des urnes en novembre 2008. Cette fois, je vais pouvoir voter en novembre, et participer ainsi au renouvellement de la moitié du Congrès.
Aux Etats-Unis, les élections régissent davantage la vie publique qu'en France. On ne choisit pas seulement ses sénateurs et ses représentants à la Chambre, mais aussi, dans son Etat, son comté, sa ville, les juges, les shérifs, les conseils d'administration des académies qui choisissent les manuels et les programmes scolaires…

Combattre l'insupportable caricature du peuple américain
Je voulais la nationalité pour une autre raison, encore plus importante : pour démontrer aux Français que tous les Américains ne sont pas des purs réacs, des gens sans culture, des gaspilleurs d'énergie, des avaleurs compulsifs de junk food, des va-t-en-guerre, des « gros c…. », ainsi que je le lis souvent sous la plume de certains riverains.
Si moi, Américaine, je suis différente de cette caricature, c'est que des dizaines de millions d'autres Américains le sont aussi. Pas tous, c'est vrai, mais qui prétend que les 65 millions de Français sont tous coulés dans le même moule ?
Je sais que le chemin pour obtenir cette fameuse nationalité a été moins dur pour moi que pour un pauvre Mexicain. Mais ils sont cependant des centaines de milliers d'immigrants chaque année à devenir citoyens: 463 204 en 2003, 702 589 en 2007, légèrement moins l'an dernier.
Un débat est en cours aux Etats-Unis sur l'immigration, sur une éventuelle réforme de l'obtention de la nationalité. Rien n'est joué. Pas plus qu'en France, où les projets Sarko-Hortefeux ne se sont pas encore concrétisés.
Quelle que soit l'idée qu'on se fait des Etats-Unis, je maintiens que les immigrés légaux et les nationaux d'origine étrangère y sont mieux traités que leurs homologues français.
Article de Hélène Crier Wesner

2 commentaires:

  1. "Quelle que soit l'idée qu'on se fait des Etats-Unis, je maintiens que les immigrés légaux et les nationaux d'origine étrangère y sont mieux traités que leurs homologues français". Ben voyons, parce qu'ils sont maltraités chez nous? Une bourgeoise française immigrée aux USA est aussi bien traitée qu'un bourgeois américain naturalisé français. Il s'agit de blancs qui ne sont pas victimes du racisme ambiant. Le problème aux USA comme en France n'est pas le fait d'être immigré mais d'être noir ou bronzé. Il faut un peu sortir de son milieu d'origine pour s'en rendre compte. Simplement, si un immigré légal perd son boulot aux USA, il est dans une situation nettement plus difficile qu'un immigré légal en France. Car il se retrouve littéralement dépourvu de droits sociaux ce qui n'est pas le cas en France. D'ailleurs il y a une autre différence entre les Etats-Unis et la France. On ne retrouve pas chez les Américains ce masochisme typique des Français qui vous caractérise pour dénigrer leur pays ou ex-pays, ce qui surprend toujours les Américains de passage chez nous, plutôt surpris de voir la qualité de vie en France (bouffe, vacances-RTT, systèmes sociaux et médicaux). En ce sens, malgré votre nationalité nouvelle, vous restez malheureusement typiquement française dans votre état d'esprit.

    RépondreSupprimer
  2. Et rappelons qu'en France, nous n'avons pas à rougir question naturalisation. La France est le premier pays pour les naturalisations en Europe (devant le Royaume Uni et l'Allemagne): entre 130 000 et 160 000/an pour une population 6 fois moins importante que celle des USA (sans parler d'un droit du sol qui intègre chaque année automatiquement des milliers de jeunes dont les parents sont étrangers). Nous sommes le premier pays d'Europe pour les demandes d'asile politique et le nombre d'asile politique accordé. Loin devant l'Allemagne par exemple qui compte plus d'habitants.

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...